Anny et Claude SAINT LEGER
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Le 25 Juin 1923, nous nous sommes mariés à PECQ en Belgique.
Le chateau de BIEZ avait été complètement réparé. Le jardin était merveilleux. Il y avait cinq jardiniers.
Nous avons été en voyage de noce en automobile, en Italie, STRESA, VENISE et les DOLOMITES.
Nous avons habité 228 rue Nationale à Lille. Claude avait beaucoup à faire car Donat AGACHE était très entreprenant.
En plus des usines de PERENCHIES, il avait racheté les deux usines SAINT LEGER de la Madeleine, et aussi deux usines à Seclin, 1 blanchisserie à Pont de Nieppe, et une usine en Italie près de Côme.
Tout cela nécessitait de nombreux voyages à BELFAST en Irlande, car beaucoup de métiers venaient de la maison MACKIE, et en Italie une ou deux fois par mois.
Nanif (Mme René DESCAMPS) et moi, allions environ tous les deux mois en Italie, et Donat AGACHE nous recevait à la Villa d'ESTE. C'était un phénomène très amusant. Malheureusement il est mort d'un cancer vers 1930 ou 1932.
Claude a été décoré de la Légion d'Honneur à titre militaire vers 1928 ; il y eut un grand banquet donné en son honneur à PERENCHIES.
Après la mort de Donat AGACHE, Claude et René DESCAMPS ont eu une lourde tâche.
Nous avons eu trois filles :
- THERESE en Mai 1924
- NICOLE en Janvier 1926
- FRANCINE en Juillet 1927
En 1925-1926, j'ai passé mes examens d'infirmière.
En 1927 mon père mourut d'un cancer à l'âge de 52 ans, ce qui me fit beaucoup de peine car il était charmant.
Nous avons eu une vie très agréable pendant quelques années, avec de nombreux amis, des chasses, des voyages.
En 1928, nous fîmes une croisière aux Iles Canaries, Madère, le Maroc.
Mais Claude était fatigué par ses lourdes responsabilités, et dormait mal.
DENIS, est né en 1935.
En 1936, c'était de Front Populaire avec Léon Blum. Il y avait des émeutes dans les rues. J'ai vu renverser un tramway.
Il y eut des occupations d'usines, des grèves.
On commençait à parler d'HITLER et du nazisme.
Ma mère vendit le chateau de PECQ qui était installé trop luxueusement.
En 1938 on sentait la guerre proche.
Claude avait toujours fait des périodes militaires, il était devenu Lieutenant.
En 1938, HITLER envahit l'Autriche.
En 1939, la Pologne, ce qui déclencha la guerre.
En Septembre 1939, la France et l'Angleterre déclarèrent la guerre à l'Allemagne ; mais rien ne bougea.
Nous avons loué une villa à DINARD.
Claude trouvait plus raisonnable que je m'installe à Dinard. J'étais enceinte de CHANTAL.
Claude avait envie de s'engager, mais il ne le fit qu'avec mon accord. Il trouvait que les patrons ne devaient pas rester assis dans leurs fauteuils pendant que les ouvriers se battaient.
Pendant un moment il fut au CROISE LAROCHE, sur le champ de courses, où on groupait les soldats. Il venait de temps en temps dîner avec d'autres officiers, et les conversations étaient de ce genre :
"Ce midi, au mess, j'ai échangé 10 kg de thé contre des bougies, avec les Anglais".
ou encore :
"Combien va-t-on mettre de bromure dans la boisson des hommes pour les calmer et éviter qu'ils se sauvent toutes les nuits pour retrouver leur famille ?".
Cela n'a pas duré longtemps. Claude fut envoyé ailleurs, dans la nature. Je ne savais plus rien.
Je terminais mes bagages pour partir avec mes quatre enfants en Bretagne. Nous avions décidé qu'il serait mieux que je parte en Bretagne ; j'ai donc loué une vieille maison charmante à Dinard, sur la Rance, avec une vue merveilleuse.
Vers Septembre 1939, j'ai fait mes bagages. J'avais alors un drôle de petit bouton sur le bras, et cela ne se passait pas. J'ai demandé au Dr RAZEMON, chirurgien, de venir dîner avec nous.
Il est arrivé en uniforme de médecin major, en disant : "je dois rejoindre mon régiment dans 2 jours, je suis mobilisé". Mais en regardant mon bouton, il m'a dit : "demain matin je viens vous l'enlever ; je ne veux pas vous laisser avec cela".
Le lendemain à 7 H., il était là avec son bistouri et m'a tailladé sérieusement le bras. Il avait apporté un tube de verre dans lequel il a mis ce qu'il m'avait enlevé, en me disant : "je vais le faire analyser". Le soir même il me téléphonait : "je suis désolé de vous le dire, mais c'est cancéreux. Voici des adresses à Paris où vous devez vous rendre si cela recommence".
Je me suis donc retrouvée enceinte, avec une menace de cancer, un mari perdu dans la nature, et quatre enfants.
Pas de famille pour m'aider.
Mes frères étaient mobilisés :
- EUGENE dans l'aviation de chasse
- FRANCIS du côté de SALON. Il était officier.
Cela fut très dur.
En Bretagne j'ai retrouvé des amis. Le ravitaillement allait à peu près.
Les Ets AGACHE de Seclin fabriquaient de la ficelle de liseuse pour moissonneuse. C'était une chose très rare, et grâce à cela j'ai pu obtenir du beurre chez les fermiers.
Mes filles allaient à bicyclette de Dinard à Pontorson, et revenaient avec des provisions.
Un jour THERESE a voulu s'accrocher derrière un camion et elle est tombée se blessant à la tête. J'ai eu très peur.
Le 9 Août CHANTAL naissait, et début mai les allemands envahissaient la France par la Belgique. La ligne Maginot ne servit à rien.
Claude et ses hommes reçurent l'ordre de se replier sur Dunkerque, d'où ils espéraient pouvoir rejoindre l'Angleterre.
Mais les Anglais n'ont jamais voulu les embarquer ; ils ne prenaient que les Anglais. Il n'y a rien eu à faire, et les soldats français ont été faits prisonniers et désarmés.
Ils sont partis à pied jusqu'à Anvers, et de là en train pour des camps d'officiers.
Claude était à l'OFLAG 8 A en Silésie.
Paul LAMBERT, André THIEFFRY, Maurice WALLAERT, ont aussi été prisonniers, et bien d'autres.
Au début, ils étaient à peine nourris et se battaient pour une pomme de terre.
La Croix Rouge Suisse, et les familles, purent envoyer quelques colis.
Les lettres étaient rares.
Claude a été champion d'échecs de son camp.
Il a été libéré en 1942 comme père de 5 enfants, et ancien combattant.
Pendant ce temps à Dinard, nous étions sans nouvelles et très anxieux. Mon cancer n'a jamais recommencé.
Ce n'est qu'au mois d'Août que j'ai appris que Claude était prisonnier.
J'avais quitté Dinard en Juin pour éviter d'être en zone occupée. Je l'ai regretté ensuite.
J'ai été passer quinze jours dans le Lot, chez ma grand-mère, puis à Bretennoux, en Dordogne, avec les Paul PROUVOST, puis à St-Raphael, où se trouvaient les BARROIS.
Le ravitaillement était très difficile.
Eugène m'envoyait de la farine et de la semoule.
On avait des tickets d'alimentation pour le pain, le sucre, l'huile, les cigarettes, le vin, la viande et le beurre.
En septembre 1942, je revins à Lille.
Le ravitaillement était également difficile ; tout s'achetait au marché noir.
On achetait des pneus chez le boucher, de la viande chez le garagiste.
On nous offrait des tétines de vaches comme viande.
Sans que je le sache, Claude faisait de la résistance. Les déportations commençaient.
Début novembre 1942, Claude me dit qu'il fallait qu'il aille à Alger pour ses affaires. Il n'est jamais revenu.
Le 10 Novembre, les allemands ont envahi la zone non occupée de la France. La flotte s'est sabordée à Toulon.
Les juifs étaient obligés de coudre une étoile jaune, de 10 cm environ, sur le revers gauche. Les uns après les autres ils furent arrêtés et exterminés.
Le grand P.D.G. de chez KUHLMAN (M. BEER) a été emmené avec toute sa famille : on ne les a jamais revus.
René DESCAMPS (qui avait un grand-père KUHLMAN) s'occupait à la fois d'AGACHE et de KUHLMAN.
Pendant ce temps Claude était parti en Angleterre rejoindre De GAULLE. Il a été parachuté en France pour organiser la résistance. Il ne me l'a jamais dit ; je ne l'ai su que longtemps après la guerre, par Mme Roger GERARD, cousine de ma belle-soeur Marguerite, qui l'a caché à plusieurs reprises. Son mari Roger GERARD était un des chefs de la résistance.
Nous étions presque sans nouvelles de Claude.
Par l'intermédiaire de la Croix Rouge de Genève, j'avais reçu un gentil message pour l'anniversaire de notre mariage, le 25 Juin. Cela venait d'Alger en 1943. Ensuite je n'ai plus rien su.
Lille commençait à être bombardé. Il y eut 1000 morts dans un bombardement de Lomme. Des maisons furent détruites bld Vauban.
Aussi, en Mars 1944, j'ai loué une villa à Marlotte près de Fontainebleau, où se trouvait ma belle-soeur Marguerite WATTINNE.
Les Edouard ROUSSEL m'avaient offert leur apartement de Paris, av. Frédéric Le Play.
A Marlotte, nous avons eu un très fort bombardement, et je suis rentrée à Paris.
Les alliés bombardaient les voies ferrées et les ponts de la Seine et de la Loire, pour empêcher les allemands de se déplacer.
C'est à Paris, que nous avons eu la joie de voir arriver le Général LECLERC et les premiers tanks français.
On s'est un peu battu dans les rues de Paris. Nous étions près de l'Ecole Militaire et on entendait un peu tirer à la mitrailleuse dans les rues.
Dès que les tanks français sont entrés dans Paris, on a vu surgir une bande de voyous, portant des brassards F.F.I. (Forces Françaises de l'Intérieur). Ils se croyaient tout permis.
Ils avaient de vagues listes de collaborateurs, et venaient les arrêter. Ils jetaient les meubles par la fenêtre.
Je les ai vu arrêter Sacha guitry parce qu'il avait été vu à des terrasses de café avec des allemands ; mais c'était souvent pour obtenir la libération de détenus.
Ils sont allés chez Mme Gaston LE BLAN, la mère de Patrick. C'était une dame âgée. Comme elle discutait à travers la porte, ils ont tiré une rafale de mitrailleuse et l'ont tuée.
J'étais dans l'apartement de mon ami Edouard ROUSSEL, gaulliste acharné, mais Sénateur, et il figurait sur les listes de Vichy - où a résidé PETAIN.
Toutes les femmes qui avaient fréquenté des allemands étaient tondues sur l'esplanade de l'Ecole Militaire.
Beaucoup de ces F.F.I. s'étaient adjugés eux-mêmes le grade de colonel ou général.
Quand De GAULLE est arrivé, il les a écartés.
Les vrais résistants étaient modestes.
Tout a été remis en place par la suite.
Quelques jours après, le Général DE GAULLE descendit les Champs Elysées à pied avec, à ses côtés, M. Jacques CHABAN DELMAS, M. Michel DEBRE, M. Olivier GUICHARD.
Il y avait encore des allemands qui tiraient des toits.
Quelques jours après Claude est arrivé avec les troupes françaises qui avaient débarqué à OUISTREHAM. Vous pouvez imaginer notre bonheur.
Pendant les deux jours où Claude est resté à Paris, j'ai vu surgir une bande de F.F.I., qui avaient demandé à la concierge où habitait le Sénateur ROUSSEL, et qui venaient pour tout jeter par la fenêtre.
Heureusement le casque et la mitrailleuse de Claude étaient dans le vestibule (il était en train de se raser). Je leur dit "c'est le Commandant SAINT LEGER des Forces Françaises Libres qui est ici en ce moment".
Ils se sont excusés et sont repartis.
C'est grâce à cela qu'Edouard possédé toujours son COROT.
Au bout de 2 jours Claude est reparti car il fallait libérer la France entière, la Belgique et la Hollande.
Les allemands s'étaient repliés et regroupés en Alsace, dans les Ardennes et en Hollande.
Ce n'est qu'au mois de Septembre, je crois, que Claude vint s'installer à la Préfecture de Lille, à l'Etat Major ; mais il demanda très vite d'être muté à Amiens car il avait une situation trop difficile vis à vis de tous les industriels ou journalistes, dont certains avaient travaillé pour les allemands, et se faisaient arrêter.
Claude était Membre du Comité de Libération. Le Chef se nommait M. CLOSON. Il était très gauchiste et avait très envie d'arrêter et d'emprisonner beaucoup de patrons.
Nous avions des amis propriétaires de journaux. Certains comme Jacques DEMAY, du journal de Roubaix, et Richard CHAPON, de la Petite Gironde, avaient distribué leurs bénéfices à la Résistance. Ils n'ont pas eu d'ennuis.
Jean PROUVOST, avec le Figaro, avait un peu trop traîné à aider la Résistance : il a dû se cacher pendant plusieurs mois.
Par contre Jean DUBAR, qui avait l'Echo du Nord, a été arrêté très vite.
Il avait pris un très grand avocat de Paris, mais cela ne servit à rien.
J'ai dû assister à son procès : on l'a insulté, arraché sa Légion d'Honneur, et condamné à de nombreuses années de prison, ainsi que la confiscation de tous ses biens.
Il avait construit le très beau bâtiment qui est maintenant La Voix du Nord. Tout cela a été pris ainsi que plusieurs sociétés d'éditions qu'il possédait.
Plus tard, cela s'est calmé. On lui a restitué une partie de ses biens, mais pas le journal ni les imprimeries.
Cela s'est passé après la mort de Claude.
Nicole était allé le voir en prison. Elle était infirmière I.P.S.A.
Donc Claude était installé à la Préfecture d'Amiens - où M. Bernard CORNUT GENTILLE était Préfet. Il était Officier de liaison.
Il revenait de temps à autres prendre un repas, mais souvent avec de mauvaises nouvelles :
Teddy RASSON est tué à l'entrée de Strasbourg ; il faut prévenir les familles. Puis Jules JOIRE de l'escadrille Normandie Niemen, et son frère Jean JOIRE, tué en Italie à Monte Cassimo, tous deux fils de Jules JOIRE.
Puis Gérard et Bernard BONDUELLE, frères d'Edouard, et bien d'autres ....
Claude avait été au bureau AGACHE, et René DESCAMPS lui avait indiqué la somme correspondant à la participation aux bénéfices à laquelle il avait droit ; mais Claude a tout refusé en disant qu'il faisait la guerre et rien d'autre, et qu'il ne mangeait pas à tous les rateliers.
René m'a dit qu'il avait beaucoup insisté, mais inutilement.
Il avait dû décider que Claude prenne la Présidence d'AGACHE, et lui celle de KUHLMAN.
Claude avait l'intention de démissionner de l'Armée et revenir sans tarder auprès de sa famille.
René a pris un apartement à Paris, commandé une voiture de déménagement, et fait ses bagages pour partir le 15 Décembre.
Mais le destin a tout changé.
Claude a été tué le 14 Décembre 1944.
René a défait ses bagages et est resté à Lille.
Claude faisait des liaisons d'Etat Major.
Les allemands s'étaient regroupés et attaquaient fort dans les Ardennes, du côté de Bastogne.
Claude avait quitté Amiens vers 22 H. Il avait avec lui deux lieutenants, assis à l'arrière, et le chauffeur. Claude était assis devant.
Il y avait du brouillard et un peu avant Arras, il a perçuté de face un gros camion anglais qui roulait au milieu de la route.
La voiture s'est encastrée sous le camion, mais Claude fut le seul tué.
Il avait une grosse blessure à la tête, mais son visage était intact.
Le Préfet du Nord est venu nous prévenir vers minuit, et avec la voiture de la Préfecture, je suis partie avec mes trois filles à l'Hopital d'Arras.
On nous a d'abord montré des blessés ; je crois qu'il n'était pas tout à fait sûr que Claude soit mort.
Claude avait un grand pansement blanc autour de la tête.
Nous l'avons ramené à Lille, à la maison, dans la nuit.
Je l'ai laissé avec ses habits militaires, et 4 Officiers sont venus se mettre au garde-à-vous jour et nuit pendant 2 jours.
Je trouvais que Claude n'avait pas très mauvaise mine, et ai demandé au Dr RAZEMON de venir s'assurer de son décès.
Il est venu et a demandé de rester seul dans la chambre ; il est ressorti en me confirmant la mort de Claude.
L'enterrement a eu lieu à l'Eglise du Sacré Coeur. (les détails sont dans les articles de presse ci-joints)
J'ai reçu d'innombrables lettres de condoléances. Je n'ai répondu à personne ; j'étais terrasse.
Claude est mort heureux. Il a fait ce qu'il a cru être son devoir.
Ses Officiers m'ont raconté que pendant le débarquement, quand les obus tombaient autour d'eux, Claude n'avait absolument pas peur et disait "je sais bien que ce n'est pas pour moi".
Je suis convaincue que Claude aurait fait de la politique.
Deux mois, après Nicole a eu la diphtérie.
L'Etat Major américain m'a fait porter un petit flacon de poudre blanche en me disant que c'était un remède miracle.
Il s'agissait de la pénicilline, mais nous ne savions pas comment l'employer.
Écrit par Anny Wattinne, femme de Claude, en 1985
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